Intervention de
Marc Potin– ingénieur, directeur Plâtres Vieujot
dans le cadre de la première journée « Le Plâtre et la Couleur – le Plâtre teinté dans la masse » organisée par le GRPA.
Les plâtres teintés dans la masse ne sont pas qu’un sujet d’études historiques ou archéologiques. Ils sont également redevenus une réalité contemporaine, dans de nombreux projets architecturaux actuels, tant en rénovation qu’en neuf.
Après avoir examiné le contexte de ce retour et ses raisons, nous verrons les différentes solutions de mise à la teinte, à savoir l’usage de gypses naturellement colorés, l’ajout de pigments ou l’incorporation d’agrégats. Nous finirons par quelques facteurs, liés à la composition du produit ou à l’environnement du projet, influençant le résultat final.
Contexte
La pigmentation des plâtres – dans lesquels nous incluons les plâtres et chaux, les plâtres et terre, les plâtres de sol, etc. – dans la masse est une technique en pleine renaissance tant en patrimoine, qu’en décoration ou en éco-construction. Ce nouvel intérêt dépasse le simple effet du récent regain général d’intérêt pour le plâtre et repose sur de multiples raisons qui se renforcent mutuellement.
Dans le domaine du patrimoine, on a redécouvert l’existence des enduits teintés dans la masse, en particulier dans l’architecture des pays de plâtre (Ile-de-France, Alpes, Occitanie, Provence…), interrogeant le vieux préjugé de façades en plâtre blanc recouvert d’un badigeon de chaux coloré. Les cas visuellement les plus évidents sont les stucs brique et les stucs pierre, dont Versailles ou Aix-en-Provence offrent les exemples les plus systématiques, mais s’y ajoutent les façades soutenues et monochromes des villages franciliens dont la Brie garde de belles et nombreuses façades à compartiment classiques ou néo-classiques, ou les façades rosées des fermes alpines de la Tarentaise et la Maurienne à la Haute Provence, pour ne parler que des exemples français.

Notre offre systématique par analyse et contre-type des enduits existants nous a permis d’en recueillir une belle collection, dont l’exploitation scientifique reste à faire, mais qui permet d’ores et déjà d’affirmer que les plâtres colorés dans la masse étaient loin d’être des exceptions.
De plus, l’expérience montre qu’un plâtre d’extérieur teinté dans la masse a une meilleure durabilité qu’un plâtre peint ou badigeonné et permet une meilleure gestion de l’eau, en particulier dans des conditions défavorables (support peu stable et donc susceptible de créer des fissurations, risques de condensations profonde…). Cet aspect intéresse aussi l’éco-construction.
Dans le domaine de la décoration et des grands projets neufs, on assiste à un retour des colorations dans la masse en vue de surfaces mates et minérales, porté par un attrait pour les matières et le naturel. Ce n’est d’ailleurs pas propre au plâtre : le développement des « bétons bruts de décoffrages » et des « bétons cirés » relève de la même tendance. Mais comme le plâtre prend particulièrement bien la pigmentation, ne connaît guère de problèmes de laitance ou de « carbonatation » et offre une grande variété de finition, il est souvent retenu.

Cette envie de minéralité et de texture rejoint les préoccupations de l’éco-construction. En effet, une teinte dans la masse, au-delà de l’aspect « naturel », permet de se passer de peinture, qui cumule un certain nombre d’inconvénients : elle est issue de l’industrie pétrolière et émettrice potentielle de COV (Composés Organiques Volatiles). A titre de comparaison, un plâtre teinté dans la masse est dix ou vingt fois en-dessous des limites de la classe A+ en terme d’émission de COV. Par ailleurs, la présence de peinture complique la recyclabilité future des matériaux. Enfin, et c’est peut-être le plus important, elle réduit fortement les échanges gazeux et spécialement hydriques : on ne réalise pas une maison en chanvre, en paille ou en terre crue pour la recouvrir d’une couche synthétique et fermée. Cette préoccupation est encore plus forte pour les enduits extérieurs puisque la bonne gestion des échanges gazeux et hydriques est le principal facteur de la durabilité des bâtiments à structure bois et/ou à isolation bio-sourcée (paille, chanvre, laine de bois, etc.). La pérennité séculaire du bâti parisien en pan de bois enduit en plâtre sur ses deux faces est de ce point de vue riche en enseignement.
De façon plus transverse, l’intérêt pour la coloration dans la masse vient aussi de raisons économiques (chantiers plus rapides par suppression des délais de d’attente du séchage avant peinture) ou techniques (par exemple pour les plâtres de protection incendie, l’option de la teinte dans la masse profite du mauvais comportement au feu de la plupart des peintures).

Solutions pour teinter un plâtre
Pour teinter un plâtre dans la masse, il existe essentiellement trois méthodes : gypses colorés, pigments et agrégats.
Gypses colorés
La première consiste à utiliser un gypse naturellement coloré. Ces gypses colorés le sont généralement par un oxyde de fer, le plus souvent rouge. Après cuisson, cela donne des plâtres dans toutes les nuances de rouge et de gris. Autrefois très courante, par exemple dans les Alpes ou dans les villages de Haute Provence, cette méthode, lourde de mise en œuvre, n’est quasi plus utilisée : nous n’y avons ainsi eu recours que deux fois dans les trois dernières années.
Pigments
La deuxième méthode consiste tout simplement à utiliser des pigments. Également très ancienne (stucs pierre et stucs brique en sont des exemples) et régulièrement décrite dans les traités de toutes époques, elle est restée la plus courante. Il s’agit bien de pigments (c’est à dire des substances chimiques colorantes insolubles) et non des colorants (substances chimiques colorantes solubles). En effet, l’usage de colorants provoque l’apparition d’auréoles lors du séchage car ils migrent avec l’eau s’évaporant.
En outre, il faut choisir des pigments minéraux et non organiques, puisque contrairement aux utilisations dans les peintures, aucun liant synthétique ne vient protéger ces pigments des dégradations, en particulier par l’eau et les ultra-violets. Les pigments organiques n’offrent donc pas de résistance suffisante dans le temps. D’ailleurs, même certains pigments minéraux ne sont pas stables et sont donc à proscrire (lithopone, azurite, jaunes de chrome ou de cobalt, sels de cuivre, à l’exception de certains bleus phtalo éventuellement utilisables en intérieur).
Enfin, un certain nombre de produits utilisables – et utilisés autrefois – ne le sont plus pour des raisons de toxicité (noir de manganèse, rouge vermillon, blanc de plomb, litharge, jaune de Naples…)

La liste des possibilités devient alors assez courte. On peut utiliser les pigments minéraux naturels : les terres (de Sienne, d’Ombre) naturelles ou calcinées, les ocres dans toutes les nuances du jaune ou rouge et au noir, pour la plupart formées d’un mélange de différents oxydes de fer. On peut également, et c’en est un cas particulier, incorporer des argiles. En effet, la plupart d’entre elles contiennent des oxydes de fer naturels qui vont apporter de la teinte. Par ailleurs, leur contenu argileux proprement dit (kaolinite, illite, montmorillonite, etc.) est parfaitement compatible avec le plâtre. Les mortiers plâtre et terre en sont l’illustration.
Cependant, pour des raisons de coût et surtout de régularité de teinte, les pigments minéraux synthétiques sont les plus utilisés. Les plus courants sont les oxydes de fer, jaune, noir ou rouge. Ils permettent de plus d’obtenir des teintes plus soutenues et présentent la même stabilité que leurs homologues naturels (ce sont d’ailleurs les mêmes composés chimiques). En revanche, la moindre concentration des terres et ocres permet un dosage plus simple pour un usage sur chantier. La gamme chromatique se complète avec l’oxyde de chrome (vert) et le bleu outremer.
Bien que d’usage infiniment plus rare, on dispose enfin des pigments spinelles (bleu de cobalt et jaune de titane nickel), des bleu et jaune de zircon, du vert de cobalt. Cependant, ces pigments sont très chers et dans la pratique, seuls les spinelles sont réellement utiles pour certaines nuances inatteignables autrement (bleu et jaune très francs).
Un autre cas particulier un peu plus courant est la pigmentation en blanc, pour rendre le plâtre encore plus blanc qu’au naturel. On utilise alors du dioxyde de titane (Blanc de Titane) sous sa forme rutile.



Poudres et pâtes pigmentaires
A noter que tous ces pigments peuvent être utilisés sous forme de poudre : ils doivent être alors mélangés au plâtre à sec, que ce soit en usine ou sur site. Si on veut les mélanger à la pâte de plâtre déjà gâché, les pâtes pigmentaires s’imposent (ce sont des suspensions de pigments broyés en phase humide dans un médium liquide, généralement de l’eau dans notre cas de figure). Les additifs nécessaires à la stabilité et la bonne dispersabilité de ces pâtes ont cependant parfois des effets curieux sur le résultat final : des essais préalables sont indispensables. Différentes considérations pratiques et surtout de nombreuses expériences malheureuses dans les dernières décennies montrent que, au moins dans le cadre de chantiers importants, la voie sèche est la seule fiable.
Mélange de pigments
Bien sûr ces pigments sont miscibles entre eux et peuvent – doivent – être mélangés pour obtenir la plupart des couleurs. Il est à noter cependant qu’historiquement les mélanges de pigments semblent avoir été plutôt rares : les façades franchement jaunes, rouges ou grises, mais jamais orangées ou « vieux rose » de la Brie en sont le témoignage frappant. Le cas des stucs brique paraît identique. Celui des stucs pierre est moins facile à trancher car il existe de multiples pigments naturels donnant divers « ton pierre » (terres d’Ombre, terre de Sienne, ocres variés, etc.). Est-ce parce que la difficulté à réaliser des dosages constants sur chantier augmente très vite avec le nombre de pigments utilisés ? En tout état de cause et a contrario les demandes contemporaines vont vers beaucoup plus de variété et de précision, avec l’usage des mêmes nuanciers qu’en peinture (RAL, Pantone, etc.).
Pigments | Naturels | Synthétiques |
Variété de couleur | ++ | +++ |
Stabilité | +++ | + / +++ |
Force colorante | + | ++/+++ |
Reproductibilité | +/++ | +++ |
Dosage sur
chantier |
+++ | +/++ |
Pâtes pigmentaires | ++ | +/++ |
Agrégats
Le troisième moyen de pigmentation d’un plâtre sont les agrégats. Il est plus rare. Ainsi, contrairement à une légende bien établie, un stuc brique se fait avec de l’ocre rouge et non avec de la poudre de brique ; de même les stucs marbre sont pigmentés et ne contiennent pas de poudre de marbre, en tout cas pas colorée. Cependant, on le retrouve dans la définition que donne d’Aviler en 1755 dans son Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique du terme badigeon (« C’eſt un enduit jaunâtre qu’on fait avec de la pierre de Saint-Leu, réduite en poudre, dont les Maçons ſe ſervent pour diſtinguer les naiſſances d’avec les panneaux ſur les enduits & ravallemens. Les Sculpteurs en font auſſi uſage pour cacher les défauts des pierres coquillieres, & les faire paroître d’une même couleur. » ). Il s’agit d’une teinte dans la masse.
Sachant que, contrairement à la chaux, le plâtre ne supporte l’ajout que de peu de sable, il faut utiliser des agrégats fins et le plus foncé possible. Même dans ces conditions, les couleurs obtenues restent relativement claires mais dans la pratique la plupart des tons pierres sont ainsi accessibles. Nous avons remis à l’honneur cette technique il y a une dizaine d’année et en premier lieu sur des façades de l’École Militaire. Depuis, elle connaît un certain succès.
A contrario, si on incorpore des agrégats assez gros (typiquement de 1 à 5 mm), la couleur de masse du plâtre ne change pas. Cependant on peut considérer que ces charges vont « colorer » – au sens musical, c’est à dire faire vibrer – un plâtre. Par exemple, l’ajout de charbon de bois permet de retrouver les textures des plâtres ruraux anciens (à l’origine ce sont les résidus du bois de cuisson du plâtre, non éliminés par tamisage, contrairement aux usages urbains plus raffinés) mais aussi confère une vibration aux enduits.

Les premiers de ces agrégats sont les impuretés traditionnelles des enduits anciens : charbon de bois donc, mais aussi des éclats de gypse, de chamotte (éclats de terre cuite, tuiles ou briques), marnes vertes, etc. S’y ajoutent de façon plus contemporaine du mâchefer, du mica, de la vermiculite, des agrégats calcaires, des sables coquilliers, mais aussi de la paille (de chanvre – la chènevotte –, de lin – l’ana – ou autres) ou encore des gouttes de verre ou des esquilles de bois.


Quelques facteurs influençant la couleur
Au-delà des pigments utilisés et de leur concentration, il ne faut pas négliger de prendre en compte quelques facteurs d’influence de la couleur finale d’un plâtre teinté dans la masse
Facteurs internes : composition
Les facteurs d’influence les plus courants sont :
– le taux de gâchage, lié à la mise en œuvre (on gâche plus liquide pour emplir un moule que pour enduire un mur) et à la composition du produit,
– l’ajout de chaux éclaircit considérablement la couleur,
– en revanche les ajouts de filler ont peu d’influence.
Facteurs externes : environnement et mise en œuvre
A composition égale, la finition d’un produit (du plus grossier ou plus fin : gratté, décapé, coupé, poncé, lustré, lissé, ferré) a une grande importance. Schématiquement, plus la surface sera grossière, plus la couleur perçue sera foncée. Corrélativement, plus tôt sera réalisée une finition, plus soutenu sera le résultat final.
Le cas des finitions lissées ou ferrées est encore plus complexe puisque la crème de lissage engendrée par le produit lui-même – le plus souvent par frottement d’un talochon éponge mais d’autres techniques existent – est d’une couleur différente de la masse (et plus précisément le plus souvent plus claire). Cela crée alors, suivant la mise en œuvre et le coup de patte du plâtrier, des résultats variés, typiquement plus ou moins nuancés ou « nuagés ».
Cependant ces phénomènes sont globalement moins marqués que pour les finitions « talochées » ou « stuquées » des enduits hydrauliques. De plus, des plâtres particuliers existent qui évitent ce phénomène, pour un résultat plus homogène.
Le séchage a également une influence parfois notable : un temps de séchage plus long fonce la teinte finale. Dans certains cas extrêmes (par exemple en cas de fuite prolongée), les conséquences esthétiques sont difficilement réversibles.Les produits de traitement et de protection après séchage sont également à prendre en compte, comme, par exemple :
– les hydrofuges dont l’effet, suivant les compositions, est de nul à faible,
– les cires dont l’effet est faible (lissés) à moyen (coupés, poncés),
– les huiles dont l’effet est moyen,
– les produits à « effets mouillés » dont l’effet est, par définition, fort.
Enfin, les conditions d’éclairage sont essentielles. Il est en particulier évident qu’il faut examiner les échantillons dans la même lumière (en particulier en termes de «température» d’éclairage) que celle du projet définitif.
Un bel avenir
Pour conclure, les conditions techniques de la pigmentation dans la masse des plâtres sont donc robustes et classiques (usages d’oxydes de fer, voie sèche de mélange, facteurs d’influence classiques et maîtrisables), ce qui explique la vigueur de ce retour.
Nous pouvons nous réjouir de cette renaissance des plâtres teintés dans la masse parce que, à la fois elle renoue avec une ancienne tradition intimement liées à notre patrimoine et elle répond à des évolutions profondes de l’architecture actuelle. Mais aussi parce qu’elle repose sur le redéploiement d’un réel savoir-faire des plâtriers et staffeurs et va de pair avec le développement de leurs compétences, tant nouvelles que traditionnelles.
Photos Plâtres Vieujot